Librement inspiré de l’ouvrage « Le travail et ses espaces » de Jean-Pierre Bouchez, nous vous proposons une série d’articles pour montrer comment ont évolué les espaces de travail, à travers les différentes époques et modes d’organisation du travail. Cet article est la partie 2 de notre série « L’évolution des espaces de travail à travers le temps ». Retrouvez la partie une ici !
La première industrialisation et l’autonomie des ouvriers
Le « système usinier » va progressivement se mettre en place dans la deuxième moitié du XIXe siècle pour deux raisons principales :
- Ce système est plus compétitif, avec un contrôle accru de la qualité et de la flexibilité avec des ouvriers disponibles
- Ce système est plus adapté à la concentration des moyens de production. Ceux-ci sont en effet de plus en plus gourmands en énergie, ce qui impose donc une localisation unique.
Ce qui paraît contre-intuitif, c’est la relative autonomie ouvrière dans ces nouvelles usines. On pourrait penser que la concentration d’ouvriers dans un même lieu, associée à la présence nouvelle de contremaitres, auraient eu pour effet une perte d’autonomie des ouvriers. Mais dans les faits, il n’en est rien, et ce pour trois raisons.
Des effectifs de hiérarchie réduits
Tout d’abord, les effectifs de la hiérarchie sont réduits, ce qui ne leur permet pas d’avoir des moyens forts de coordination et de contrôle. Ce contrôle hiérarchique se renforcera finalement avec l’augmentation de la taille des usines, et donc de leurs effectifs.
Une « marchandisation des tâches »
La deuxième raison tient à ce que les détenteurs des capitaux des usines ont fait perdurer, durant la deuxième moitié du XIXe siècle, une « marchandisation des tâches ». Celle-ci est liée à l’incertitude de certains marchés et au besoin de flexibilité de la main d’œuvre. Nous l’évoquions dans notre précédent article. Ces rapports marchands pouvaient prendre 3 formes distinctes :
- Le salaire aux pièces
- Le tâcheronnat, correspondant à la contractualisation avec un entrepreneur recrutant des ouvriers pour réaliser les tâches sous-traitées
- Le marchandage direct correspondant à une négociation directe avec des ouvriers sans recours à un intermédiaire.
Le « maître à élève »
Enfin, la dernière raison tient à ce que les savoirs de métiers se transmettent de maître à élève (et souvent de père en fils). Parce qu’ils maîtrisent les standards de travail donc la productivité, la hiérarchie a peu de prise sur les ouvriers. Notamment sur les plus qualifiés, dont la valeur professionnelle est essentielle pour l’usine.
Ce que l’autonomie ouvrière apporte aux espaces de travail
La représentation commune des grandes usines est un lieu clos (murs, grilles, ..), dont les accès sont rendus difficiles par des contrôles tatillons. Mais, ce que montrent les archives de cette époque de la première industrialisation, c’est que les usines sont des espaces ouverts.
Tout d’abord parce que ces lieux n’offrent pas possibilité de restauration. Ce qui conduit les familles, femmes et enfants, à s’y rendre pour amener aux travailleurs de quoi se restaurer.
Mais aussi parce que les ouvriers qualifiés, qui jouissent d’une grande autonomie, adaptent leur environnement de travail à leurs usages de métiers. Ce, afin d’être productifs tout autant que de pouvoir former leur élèves (et souvent leur descendance) au métier qu’ils détiennent.
Il est intéressant de voir que l’autonomie, tant recherchée par les entreprises actuelles, était à cette époque assise sur un rapport de force lié à la maitrise d’un métier. L’ouvrage de Danièle Linhart « La comédie humaine du travail« , permet de comprendre l’affaiblissement de la « professionnalité ».
Tout d’abord avec Taylor, qui a enlevé aux ouvriers le soin de concevoir le travail pour ne leur laisser que la seule exécution. Puis, plus récemment avec l’incessant ballet des changements (organisationnels, informatiques, hiérarchiques, …) qui empêchent les personnes de « s’installer » et de maîtriser un métier en développant une professionnalité.
Mais loin des usines apparait une nouvelle catégorie professionnelle, qui aura un grand impact sur les espaces de travail : les fonctionnaires de bureaux. La suite dans notre prochain article sur l’évolution des espaces de travail à travers le temps !
E.P.